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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lette, Napoléon lui confiait son penchant pour madame de Beauharnais : l’incubation des événements allait faire éclore un grand homme. Madame de Beauharnais avait des rapports d’amitié avec Barras : il est probable que cette liaison aida le souvenir du commissaire de la Convention, lorsque les journées décisives arrivèrent.


La liberté de la presse momentanément rendue travaillait dans le sens de la délivrance ; mais comme les démocrates n’avaient jamais aimé cette liberté et qu’elle attaquait leurs erreurs, ils l’accusaient d’être royaliste. L’abbé Morellet, La Harpe, lançaient des brochures qui se mêlaient à celles de l’Espagnol Marchena[1], immonde savant et spirituel avorton. La jeunesse portait l’habit gris à revers et à collet noir, réputé l’uniforme des chouans. La réunion de la nouvelle législature était le prétexte des rassemblements des sections. La section Lepelletier, connue naguère sous le nom de section des Filles-Saint-Thomas, était la plus animée ; elle parut plusieurs fois à la barre de

  1. José Marchena (1768-1821). Poursuivi en Espagne par l’Inquisition pour des écrits clandestins, il se réfugia en France, fut accueilli par Marat et collabora à l’Ami du peuple. De Marat il passa aux Girondins, en attendant de passer aux royalistes sous le Directoire. Ses écrits contre-révolutionnaires le firent expulser de France en 1797. En 1800, secrétaire de Moreau à l’armée du Rhin, il s’amusa à composer en latin un morceau érotique qu’il attribua à Pétrone. Un grand nombre de savants se laissèrent prendre à cette supercherie, qu’il renouvela du reste en 1806 à propos de Catulle. Il a traduit en espagnol les Lettres persanes de Montesquieu, les Contes de Voltaire et la Nouvelle Héloïse de Rousseau.