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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est pris[1] ; les préliminaires de la paix entre la France et l’Autriche sont signés à Léoben[2].

Venise, formée au milieu de la chute de l’empire romain, trahie et troublée, nous avait ouvert ses lagunes et ses palais ; une révolution s’accomplit le 31 mai 1797 dans Gènes sa rivale : la République ligurienne prend naissance. Bonaparte aurait été bien étonné si, du milieu de ses conquêtes, il eût pu voir qu’il s’emparait de Venise pour l’Autriche, des Légations pour Rome, de Naples pour les Bourbons, de Gènes pour le Piémont, de l’Espagne pour l’Angleterre, de la Westphalie pour la Prusse, de la Pologne pour la Russie, semblable à ces soldats qui, dans le sac d’une ville, se gorgent d’un butin qu’ils sont obligés de jeter, faute de le pouvoir emporter, tandis qu’au même moment ils perdent leur patrie.

Le 9 juillet, la République cisalpine[3] proclame son existence. Dans la correspondance de Bonaparte on voit courir la navette à travers la chaîne des révolutions attachées à la nôtre : comme Mahomet avec le glaive et le Coran, nous allions l’épée dans une main, les droits de l’homme dans l’autre.

Dans l’ensemble de ses mouvements généraux, Bonaparte ne laisse échapper aucun détail : tantôt il craint que les vieillards des grands peintres de Venise, de Bologne, de Milan, ne soient bien mouillés en passant le Mont-Cenis ; tantôt il est inquiet qu’un

  1. Le 24 mars.
  2. Le 15 avril.
  3. Elle était formée de la Lombardie autrichienne, du Bergamasque, du Bressan, du Crémasque et d’autres contrées de l’État de Venise, de Mantoue, du Modénais, de Massa et Carrara, du Bolonais, du Ferrarais et de la Romagne.