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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des lettres de Bonaparte contient des plaintes sur la coquetterie de sa femme.

Les Français, en Égypte, étaient d’autant plus héroïques qu’ils sentaient vivement leurs maux. Un maréchal des logis écrit à l’un de ses amis : « Dis à Ledoux qu’il n’ait jamais la faiblesse de s’embarquer pour venir dans ce maudit pays. »

Avrieury : « Tous ceux qui viennent de l’intérieur disent qu’Alexandrie est la plus belle ville ; hélas ! que doit donc être le reste ? Figurez-vous un amas confus de maisons mal bâties, à un étage ; les belles avec terrasse, petite porte en bois, serrure idem ; point de fenêtres, mais un grillage en bois si rapproché qu’il est impossible de voir quelqu’un au travers. Rues étroites, hormis le quartier des Francs et le côté des grands. Les habitants pauvres, qui forment le plus grand nombre, au naturel, hormis une chemise bleue jusqu’à mi-cuisse, qu’ils retroussent la moitié du temps dans leurs mouvements, une ceinture et un turban de guenilles. J’ai de ce charmant pays jusque par-dessus la tête. Je m’enrage d’y être. La maudite Égypte ! Sable partout ! Que de gens attrapés, cher ami ! Tous ces faiseurs de fortune, ou bien tous ces voleurs, ont le nez bas ; ils voudraient retourner d’où ils sont partis : je le crois bien ! »

Rozis, capitaine : « Nous sommes très réduits ; avec cela il existe un mécontentement général dans l’armée ; le despotisme n’a jamais été au point qu’il l’est aujourd’hui ; nous avons des soldats qui se sont donné la mort en présence du général en chef, en lui disant : Voilà ton ouvrage[1] ! »

  1. « Sur les suicides dans l’armée d’Égypte, et en particulier sur celui du général Mireur, voir les Mémoires du général Baron Desvernois, p. 111. — De son côté, l’adjudant général Boyer dit expressément dans une lettre adressée à son père. (Correspondance de l’armée française en Égypte interceptée par l’escadre de Nelson, p. 174) : « D’autres, voyant les souffrances de leurs camarades, se brûlent la cervelle. » — Napoléon avoue que « l’armée était atteinte du spleen ; plusieurs soldats se jetèrent dans le Nil pour y trouver une mort prompte. » Mémoires, t. II, p. 153.