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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et il s’en jouait ; il en faisait le même usage que du mensonge ; il n’appréciait que le résultat, le moyen lui était égal ; le nombre des prisonniers l’embarrassait, il les tua.

Il y a toujours eu deux Bonaparte : l’un grand, l’autre petit. Lorsque vous croyez être en sûreté dans la vie de Napoléon, il rend cette vie affreuse.

Miot[1], dans la première édition de ses Mémoires (1804), se tait sur les massacres ; on ne les lit que dans l’édition de 1814. Cette édition a presque disparu ; j’ai eu de la peine à la retrouver. Pour affirmer une aussi douloureuse vérité, il ne me fallait rien moins que le récit d’un témoin oculaire. Autre est de savoir en gros l’existence d’une chose, autre d’en connaître les particularités : la vérité morale d’une action ne se décèle que dans les détails de cette action ; les voici d’après Miot :

« Le 20 ventôse (10 mars), dans l’après-midi, les

  1. François Miot, né à Versailles en 1779. Il fit la campagne d’Égypte en qualité de commissaire-adjoint des guerres. Entré dans l’armée comme capitaine en 1803, il passa en 1806 au service du roi Joseph à Naples, et le suivit en Espagne, où il devint son écuyer, avec le grade de colonel (1809) ; il ne revint en France qu’après la bataille de Vittoria (1813). Sous la Restauration, il fut réintégré dans l’armée comme colonel, grade qu’il n’avait eu jusque là qu’à titre espagnol, et il fut nommé chef du bureau de recrutement, au ministère de la Guerre. En 1804, il avait publié ses Mémoires pour servir à l’histoire des expéditions en Égypte et en Syrie pendant les années VI à VIII de la République française. Une seconde édition, plus complète, parut en 1814. — François Miot était le frère d’André Miot, comte de Melito (1762-1841), auteur des Mémoires sur le Consulat, l’Empire et le roi Joseph, publiés en 1858, avec un grand et légitime succès. Ces Mémoires sont considérés, à juste titre, comme un document de premier ordre pour l’histoire de la période napoléonienne.