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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

normands, est encore en vénération parmi les Arabes de la Syrie, et Wilson dit que son nom ne devrait être écrit qu’en lettres d’or.

Bourrienne écrit dix pages entières pour soutenir l’empoisonnement contre ceux qui le nient : « Je ne puis pas dire que j’aie vu donner la potion, dit-il, je mentirais ; mais je sais bien positivement que la décision a été prise et a dû être prise après délibération, que l’ordre en a été donné et que les pestiférés sont morts. Quoi ! ce dont s’entretenait, dès le lendemain du départ de Jaffa, tout le quartier général comme d’une chose positive, ce dont nous parlions comme d’un épouvantable malheur, serait devenu une atroce invention pour nuire à la réputation d’un héros[1] ? »

Napoléon n’abandonna jamais une de ses fautes ; comme un père tendre, il préfère celui de ses enfants qui est le plus disgracié. L’armée française fut moins indulgente que les historiens admiratifs ; elle croyait à la mesure de l’empoisonnement, non seulement contre une poignée de malades, mais contre plusieurs centaines d’hommes. Robert Wilson, dans son Histoire de l’expédition des Anglais en Égypte, avance le premier la grande accusation ; il affirme qu’elle était appuyée de l’opinion des officiers français prisonniers des Anglais en Syrie. Bonaparte donna le démenti à Wilson, qui répliqua n’avoir dit que la vérité. Wilson est le même major général qui fut commissaire de la Grande-Bretagne auprès de l’armée russe pendant la retraite de Moscou ; il eut le bonheur de contribuer depuis à l’évasion de M. de Lavallette. Il leva une lé-

  1. Mémoires de M. de Bourrienne, T. II, p. 262.