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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vie de Napoléon (Life of Napoleon) n’occupe pas moins de onze volumes. Elle n’a pas eu le succès qu’on en pouvait espérer, parce que, excepté dans deux ou trois endroits, l’imagination de l’auteur de tant d’ouvrages si brillants lui a failli : il est ébloui par les succès fabuleux qu’il décrit, et comme écrasé par le merveilleux de la gloire. La Vie entière manque aussi des grandes vues que les Anglais ouvrent rarement dans l’histoire, parce qu’il ne conçoivent pas l’histoire comme nous. Du reste, cette vie est exacte, sauf quelques erreurs de chronologie ; toute la partie qui a rapport à la détention de Bonaparte à Sainte-Hélène est excellente : les Anglais étaient mieux placés que nous pour connaître cette partie. En rencontrant une vie si prodigieuse, le romancier a été vaincu par la vérité. La raison domine dans le travail de Walter Scott : il est en garde contre lui-même. La modération de ses jugements est si grande qu’elle dégénère en apologie. Le narrateur pousse la débonnaireté jusqu’à recevoir des excuses sophistiquées par Napoléon et qui ne sont pas admissibles. Il est évident que ceux qui parlent de l’ouvrage de Walter Scott comme d’un livre écrit sous l’influence des préjugés nationaux anglais et dans un intérêt privé ne l’ont jamais lu : on ne lit plus en France. Loin de rien exagérer contre Bonaparte, l’auteur est effrayé par l’opinion : ses concessions sont innombrables ; il capitule partout ; s’il aventure d’abord un jugement ferme, il le reprend ensuite par des considérations subséquentes qu’il croit devoir à l’impartialité ; il n’ose tenir tête à son héros, ni le regarder en face. Malgré cette sorte de pusillanimité devant l’infatuation populaire, Walter Scott a perdu le mérite