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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

après avoir servi à les guider en avant. Son récit est lucide et entremêlé de quelques réflexions fines et judicieuses. On lui a souvent emprunté des pages entières sans le dire ; mais je n’ai point la vocation de copiste et je n’ambitionne point le renom suspect d’un césar méconnu, auquel il n’a manqué qu’un casque pour soumettre de nouveau la terre. Si j’avais voulu venir au secours de la mémoire des vétérans, en manœuvrant sur des cartes, en courant autour des champs de bataille couverts de paisibles moissons, en extrayant tant et tant de documents, en entassant descriptions sur descriptions toujours les mêmes, j’aurais accumulé volumes sur volumes, je me serais fait une réputation de capacité, au risque d’ensevelir sous mes labeurs moi, mon lecteur et mon héros. N’étant qu’un petit soldat, je m’humilie devant la science des Végèce : je n’ai point pris pour mon public les officiers à demi-solde ; le moindre caporal en sait plus que moi.


Pour s’assurer de la place où il s’était assis, Napoléon avait besoin de se surpasser en miracles.

Le 25 et le 30 avril 1800, les Français franchissent le Rhin, Moreau à leur tête. L’armée autrichienne, battue quatre fois en huit jours, recule d’un côté jusqu’au Voralberg, de l’autre jusqu’à Ulm. Bonaparte passe le Grand Saint-Bernard le 16 mai ; et le 20, le Petit Saint-Bernard, le Simplon, le Saint-Gothard, le Mont-Cenis, le Mont-Genèvre, sont escaladés et emportés ; nous pénétrons en Italie par trois débouchés réputés imprenables, caverne des ours, rochers des aigles. L’armée s’empare de Milan le 2 juin, et la République cisalpine se réorganise ; mais Gênes est