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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

un moment[1]. Il a inspiré quelques passions d’imagination après sa chute : en ce temps-ci, et pour un cœur de femme, la poésie de la fortune est moins séduisante que celle du malheur ; il y a des fleurs de ruines.

À l’instar de l’ordre des chevaliers de Saint-Louis, la Légion d’honneur est créée : par cette institution passe un rayon de la vieille monarchie, et s’introduit un obstacle à la nouvelle égalité[2]. La translation des cendres de Turenne aux Invalides fit estimer Napoléon[3], l’expédition du capitaine Baudin portait sa renommée autour du monde[4]. Tout ce qui pouvait

  1. « Sur ses propres fantaisies, dit M. Taine, p. 93, il n’est pas moins indiscret ; ayant brusqué le dénouement, il divulgue le fait et dit le nom : bien mieux, il avertit Joséphine, lui donne des détails intimes et ne tolère pas qu’elle se plaigne : « J’ai le droit de répondre à toutes vos plaintes par un éternel moi. »
  2. La loi portant création de la Légion d’honneur (19 mai 1802) avait rencontré au Tribunat et au Corps législatif une opposition à laquelle on n’était plus habitué. Les tribuns Savoye-Rollin et Chauvelin lui reprochèrent de relever une institution de l’ancien régime, de porter une atteinte réelle à l’égalité, en rétablissant la noblesse par voie détournée. Ils signalaient (et en cela ils ne se trompaient point) le germe d’une nouvelle aristocratie qui ne se contenterait pas longtemps d’être viagère. Au Corps législatif, malgré les efforts de Rœderer et de Lucien, la loi eut contre elle une puissante minorité.
  3. La translation du corps de Turenne à l’église des Invalides avait eu lieu, avec un grand appareil, le 22 septembre 1800.
  4. Le capitaine Nicolas Baudin avait appareillé du Havre, le 19 octobre 1800, avec les corvettes le Géographe, le Naturaliste et la goélette la Cazuarina, commandant Louis Freycinet, pour une expédition autour du globe, et spécialement aux terres australes. Interrompue au bout de trois ans par la mort de son chef, l’expédition rentra à Lorient, en 1804, après avoir découvert et reconnu une portion considérable des côtes ouest et sud de la Nouvelle-Hollande, et enrichi la science de travaux hydrographiques estimés. Le naturaliste Péron, qui avait été attaché