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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Qui défendait les droits de la justice, de la liberté et de la religion, du pape ou de l’empereur ? Celui-ci s’écriait : « Je trouve dans mon siècle un prêtre plus puissant que moi ; il règne sur les esprits, et je ne règne que sur la matière : les prêtres gardent l’âme et me jettent le cadavre[1]. » Ôtez la mauvaise foi de Napoléon dans cette correspondance entre ces deux hommes, l’un debout sur des ruines nouvelles, l’autre assis sur de vieilles ruines, il reste un fonds extraordinaire de grandeur.

Une lettre datée de Benavente en Espagne, du théâtre de la destruction, vient mêler le comique au tragique ; on croit assister à une scène de Shakspeare : le maître du monde prescrit à son ministre des affaires étrangères d’écrire à Rome pour déclarer au pape que lui, Napoléon, n’acceptera pas les cierges de

    qui serait contraire aux lois de l’Église. « Si nous usurpions, disait-il en terminant, une autorité que nous n’avons pas, nous nous rendrions coupable d’un abus le plus abominable devant le tribunal de Dieu et devant l’Église entière. Votre Majesté même, dans sa justice, n’aimerait pas que nous prononçassions un jugement contraire au témoignage de notre conscience et aux principes invariables de l’Église. » — Au mois de novembre 1805, Mme  Jérôme Bonaparte retourna avec son fils aux États-Unis. Moins de deux ans après, bien qu’elle ne fût pas morte, et qu’elle dût même survivre à son mari, celui-ci épousait, le 12 août 1807, la princesse Frédérique-Catherine de Wurtemberg. Le 8 décembre de la même année, il était déclaré roi de Westphalie.

  1. C’est à M. de Fontanes que Napoléon dit un jour ces paroles. En voici le texte complet : « Moi, je ne suis pas né à temps ; voyez Alexandre, il a pu se dire le fils de Jupiter sans être contredit. Moi, je trouve dans mon siècle un prêtre plus puissant que moi, car il règne sur les esprits et je ne règne que sur la matière : les prêtres gardent l’âme et me jettent le cadavre. » Histoire du pape Pie VII, par le chevalier Artaud de Montor.