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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Entre la Moskowa et Moscou, Murat engagea une affaire devant Mojaïsk. On entra dans la ville où l’on trouva dix mille morts et mourants ; on jeta les morts par les fenêtres pour loger les vivants. Les Russes se repliaient en bon ordre sur Moscou.

Dans la soirée du 13 septembre, Kutuzof avait assemblé un conseil de guerre : tous les généraux déclarèrent que Moscou n’était pas la patrie. Buturlin (Histoire de la campagne de Russie), le même officier qu’Alexandre envoya au quartier de monseigneur le duc d’Angoulême en Espagne, Barclay, dans son Mémoire justificatif, donnent les motifs qui déterminèrent l’opinion du conseil. Kutuzof proposa au roi de Naples une suspension d’armes, tandis que les soldats russes traverseraient l’ancienne capitale des czars. La suspension fut acceptée, car les Français voulaient conserver la ville ; Murat seulement serrait de près l’arrière-garde ennemie, et nos grenadiers emboîtaient le pas du grenadier russe qui se retirait. Mais Napoléon était loin du succès auquel il croyait toucher : Kutuzof cachait Rostopschin.

Le comte Rostopschin[1] était gouverneur de Moscou. La vengeance promettait de descendre du ciel : un ballon monstrueux, construit à grands frais, de-

  1. Le comte Fœdor Rostopchin (1765-1826), lieutenant général d’infanterie et grand chambellan de l’empereur Alexandre, qui le nomma gouverneur de Moscou, à la veille de la guerre, le 29 mai 1812. Une de ses filles épousa le comte Eugène de Ségur, neveu de l’historien de Napoléon et la Grande-Armée ; elle a écrit pour l’enfance des Contes qui ont eu une grande vogue. Mgr de Ségur, si connu par ses vertus, sa charité et ses nombreux écrits en faveur de la Religion, était le petit-fils de Rostopchin. Un autre de ses petits-fils, le comte Anatole de Ségur, a publié, en 1874, la Vie de Rostopchin.