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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ce grand homme et des débris de la garde serrée en bataillon carré, ils demeurèrent immobiles, comme fascinés ; son regard arrêta cent mille hommes sur les collines.

Kutuzof, à propos de cette affaire de Krasnoï, fut honoré à Pétersbourg du surnom de Smolenski ; apparemment pour n’avoir pas, sous le bâton de Bonaparte, désespéré du salut de la République.


Après cet inutile effort, Napoléon repassa le Dniéper le 19 et vint camper à Orcha : il y brûla les papiers qu’il avait apportés pour écrire sa vie dans les ennuis de l’hiver, si Moscou restée entière lui eût permis de s’y établir. Il s’était vu forcé de jeter dans le lac de Semlewo l’énorme croix de saint Jean : elle a été retrouvée par des Cosaques et replacée sur la tour du grand Yvan.

À Orcha les inquiétudes étaient grandes : malgré la tentative de Napoléon pour la rescousse du Maréchal Ney, il manquait encore. On reçut enfin de ses nouvelles à Baranni : Eugène était parvenu à le rejoindre. Le général Gourgaud raconte le plaisir que Napoléon en éprouva, bien que le bulletin et les relations des amis de l’empereur continuent de s’exprimer avec une réserve jalouse sur tous les faits qui n’ont pas un rapport direct avec lui. La joie de l’armée fut promptement étouffée ; on passait de péril en péril. Bonaparte se rendait de Kokhanow à Tolozcim, lorsqu’un aide de camp lui annonça la perte de la tête du pont de Borisow, enlevé par l’armée de Moldavie au général Dombrowski[1]. L’armée de Moldavie, surprise à son tour

  1. Le général Dombrowski commandait une des divisions po-