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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

leries, se souvenant que Bonaparte s’était plu dans les palais de Vienne, de Berlin et de Moscou.

Regardant la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, il dit : « Si j’étais si haut, je craindrais que la tête ne me tournât. »

Comme il parcourait le palais des Tuileries, on lui montra le salon de la Paix : « En quoi, dit-il en riant, ce salon servait-il à Bonaparte ? »

Le jour de l’entrée de Louis XVIII à Paris, Alexandre se cacha derrière une croisée, sans aucune marque de distinction, pour voir passer le cortège.

Il avait quelquefois des manières élégamment affectueuses. Visitant une maison de fous, il demanda à une femme si le nombre des folles par amour était considérable : « Jusqu’à présent il ne l’est pas, répondit-elle, mais il est à craindre qu’il n’augmente à dater du moment de l’entrée de Votre Majesté à Paris. »

Un grand dignitaire de Napoléon disait au czar : « Il y a longtemps, sire, que votre arrivée était attendue et désirée ici. — Je serais venu plus tôt, répondit-il : n’accusez de mon retard que la valeur française. » Il est certain qu’en passant le Rhin il avait regretté de ne pouvoir se retirer en paix au milieu de sa famille.

À l’Hôtel des Invalides, il trouva les soldats mutilés qui l’avaient vaincu à Austerlitz : ils étaient silencieux et sombres ; on n’entendait que le bruit de leurs jambes de bois dans leurs cours désertes et leur église dénudée ; Alexandre s’attendrit à ce bruit des braves : il ordonna qu’on leur ramenât douze canons russes.

On lui proposait de changer le nom du pont d’Aus-