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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Chateaubriand ; il m’a résisté dans ma puissance ; mais ces canailles, tels et tels ! » et il les nommait.

Mon admiration pour Bonaparte a toujours été grande et sincère, alors même que j’attaquais Napoléon avec le plus de vivacité.

La postérité n’est pas aussi équitable dans ses arrêts qu’on le dit ; il y a des passions, des engouements, des erreurs de distance comme il y a des passions, des erreurs de proximité. Quand la postérité admire sans restriction, elle est scandalisée que les contemporains de l’homme admiré n’eussent pas de cet homme l’idée qu’elle en a. Cela s’explique pourtant : les choses qui blessaient dans ce personnage sont passées ; ses infirmités sont mortes avec lui ; il n’est resté de ce qu’il fut que sa vie impérissable ; mais le mal qu’il causa n’en est pas moins réel ; mal en soi-même et dans son essence, et surtout pour ceux qui l’ont supporté.

Le train du jour est de magnifier les victoires de Bonaparte : les patients ont disparu ; on n’entend plus les imprécations, les cris de douleur et de détresse des victimes ; on ne voit plus la France épuisée, labourant son sol avec des femmes ; on ne voit plus les parents arrêtés en pleige de leurs fils, les habitants des villages frappés solidairement des peines applicables à un réfractaire ; on ne voit plus ces affiches de conscription collées au coin des rues, les passants attroupés devant ces immenses arrêts de morts et y cherchant, consternés, les noms de leurs enfants, de leurs frères, de leurs amis, de leurs voisins. On oublie que tout le monde se lamentait des triomphes ; on oublie que la moindre allusion contre Bonaparte au