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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans ces solitudes que Napoléon m’avait destinées comme à son ambassadeur aux montagnes, n’aurais-je pas été plus heureux qu’au château des Tuileries ? Quand j’entrai dans ces salons au retour de la légitimité, ils me firent une impression presque aussi pénible que le jour où j’y vis Bonaparte prêt à tuer le duc d’Enghien. Madame de Duras parla de moi à M. de Blacas. Il répondit que j’étais bien libre d’aller où je voudrais. Madame de Duras fut si orageuse, elle avait un tel courage pour ses amis, qu’on déterra une ambassade vacante, l’ambassade de Suède. Louis XVIII, déjà fatigué de mon bruit, était heureux de faire présent de moi à son bon frère le roi Bernadotte[1]. Celui-ci ne se figurait-il pas qu’on m’envoyait à Stockholm pour le détrôner ? Eh ! bon Dieu ! princes de la terre, je ne détrône personne ; gardez vos couronnes, si vous pouvez, et surtout ne me les donnez pas, car je n’en veux mie.

Madame de Duras, femme excellente qui me permettait de l’appeler ma sœur, que j’eus le bonheur de revoir à Paris pendant plusieurs années, est allée mourir à Nice[2] : encore une plaie rouverte. La duchesse de Duras connaissait beaucoup madame de Staël : je ne puis comprendre comment je ne fus pas attiré sur les traces de madame Récamier, revenue d’Italie en France ; j’aurais salué le secours qui venait en aide à ma vie : déjà je n’appartenais plus à ces

  1. Dans les derniers moments de la première Restauration, Chateaubriand fut nommé ambassadeur à Stockholm. Il allait se rendre — sans enthousiasme — auprès de Bernadotte, quand Napoléon débarqua de l’île d’Elbe.
  2. Au mois de janvier 1829.