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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Si nous eussions été moins confiants, il nous eût été facile de découvrir l’approche d’une catastrophe. Bonaparte était trop près de son berceau et de ses conquêtes ; son île funèbre devait être plus lointaine et entourée de plus de flots. On ne s’explique pas comment les alliés avaient imaginé de reléguer Napoléon sur les rochers où il devait faire l’apprentissage de l’exil : pouvait-on croire qu’à la vue des Apennins, qu’en sentant la poudre des champs de Montenotte, d’Arcole et de Marengo, qu’en découvrant Venise, Rome et Naples, ses trois belles esclaves, les tentations les plus irrésistibles ne s’empareraient pas de son cœur ? Avait-on oublié qu’il avait remué la terre et qu’il avait partout des admirateurs et des obligés, les uns et les autres ses complices ? Son ambition était déçue, non éteinte ; l’infortune et la vengeance en ranimaient les flammes : quand le prince des ténèbres du bord de l’univers créé aperçut l’homme et le monde, il résolut de les perdre.

Avant d’éclater, le terrible captif se contint pendant quelques semaines. Auprès de l’immense Pharaon public qu’il tenait, son génie négociait une fortune ou un royaume. Les Fouché, les Guzman d’Alfarache, pullulaient. Le grand acteur avait établi depuis longtemps le mélodrame à sa police et s’était réservé la haute scène ; il s’amusait des victimes vulgaires qui disparaissaient dans les trappes de son théâtre.

Le bonapartisme, dans la première année de la Res-

    le départ de l’intrépide voyageuse ; elle était en pleine mer… L’Empereur eut des heures d’angoisse. Ses alarmes durèrent jusqu’au moment où Mme  la comtesse Walewska lui eut appris elle-même que le péril était passé. »