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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tauration, passa du simple désir à l’action, à mesure que ses espérances grandirent et qu’il eut mieux connu le caractère faible des Bourbons. Quand l’intrigue fut nouée au dehors, elle se noua au-dedans, et la conspiration devint flagrante. Sous l’habile administration de M. Ferrand[1], M. de Lavallette[2] faisait la correspondance : les courriers de la monarchie portaient les dépêches de l’empire. On ne se cachait plus ; les caricatures annonçaient un retour souhaité : on voyait des aigles rentrer par les fenêtres du château des Tuileries, d’où sortaient par les portes un troupeau de dindons ; le Nain jaune[3] ou vert parlait de

  1. Antoine-François-Claude, comte Ferrand (1751-1825). Il était directeur général des Postes. À la seconde Restauration, il fut nommé pair de France et entra à l’Académie française. Il avait composé plusieurs ouvrages, dont le principal est l’Esprit de l’Histoire, ou Lettres politiques et morales d’un père à son fils sur la manière d’étudier l’histoire en général et particulièrement celle de la France. Ses Mémoires ont été publiés en 1897 par le vicomte de Broc.
  2. Antoine-Marie Chamant, comte de Lavallette (1769-1830), directeur général des Postes sous l’Empire. Ses Mémoires ont paru en 1831.
  3. Le Nain Jaune, qui paraissait depuis 1810 avec ce sous-titre : Journal des arts, des sciences et de la littérature, se transforma en journal semi-politique à la fin de 1814, sous l’inspiration, dit-on, des habitués du salon de l’ex-reine Hortense. Les rédacteurs du Nain Jaune, Cauchois-Lemaire, Bory-Saint-Vincent, Étienne, Jouy, Harel, étaient en effet bonapartistes, mais ils eurent soin de cacher leur drapeau, n’attaquèrent jamais le roi et prirent pour épigraphe : Le Roi et la Charte. Sous le couvert de ce pavillon, ils déversèrent le ridicule sur les hommes et les tendances du ministère et du parti royaliste. Louis XVIII, qui avait du goût pour l’esprit, s’amusait des épigrammes du mordant journal. À des courtisans qui réclamaient la suppression du Nain Jaune, il répondit un jour : « Non, c’est par cette feuille que j’ai appris des choses qu’un roi ne doit point ignorer. » — Voir Henry Houssaye, 1815, tome I, page 67.