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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

plumes de cane.[1] Les avertissements venaient de toutes parts, et l’on n’y voulait pas croire. Le gouvernement suisse s’était inutilement empressé de prévenir le gouvernement du roi des menées de Joseph Bonaparte, retiré dans le pays de Vaud. Une femme arrivée de l’île d’Elbe donnait les détails les plus circonstanciés de ce qui se passait à Porto-Ferrajo, et la police la fit jeter en prison. On tenait pour certain que Napoléon n’oserait rien tenter avant la dissolution du congrès, et que, dans tous les cas, ses vues se tourneraient vers l’Italie. D’autres, plus avisés encore, faisaient des vœux pour que le petit caporal, l’ogre, le prisonnier, abordât les côtes de France ; cela serait trop heureux ; on en finirait d’un seul coup ! M. Pozzo di Borgo déclarait à Vienne que le délinquant serait accroché à une branche d’arbre. Si l’on pouvait avoir certains papiers, on y trouverait la preuve que dès 1814 une conspiration militaire était ourdie et marchait parallèlement avec la conspiration politique que le prince de Talleyrand conduisait à Vienne, à l’instigation de Fouché. Les amis de Napoléon lui écrivirent que s’il ne hâtait son retour, il trouverait sa place prise aux Tuileries par le duc d’Orléans : ils s’imaginent que cette révélation servit à précipiter le retour de l’empereur. Je suis convaincu de l’existence de ces menées, mais je crois aussi que la cause déterminante qui décida Bonaparte était tout simplement la nature de son génie.

  1. Un correspondant du Nain Jaune lui écrivait, à la date du 28 février 1815 : « J’ai usé dix plumes d’oie à vous écrire, sans pouvoir obtenir de réponse ; peut-être serai-je plus heureux avec une plume de canne : j’en essayerai. » (Le Nain Jaune du 5 mars.) — La ville de Cannes est à peu de distance du golfe Jouan.