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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

change en vingt-quatre heures. On verra plus tard, dans un autre livre de ces Mémoires, qui lui inspira ce noble mouvement auquel la mobilité de sa nature ne lui permit pas de rester fidèle. Le maréchal Soult anime les troupes contre leur ancien capitaine ; quelques jours après il rit aux éclats de sa proclamation dans le cabinet de Napoléon, aux Tuileries, et devient major général de l’armée à Waterloo ; le maréchal Ney baise les mains du roi, jure de lui ramener Bonaparte enfermé dans une cage de fer[1], et il livre à

    reur… ; et, du sein de cette abjection profonde, qu’aurions-nous à dire à ce Roi que nous aurions pu ne pas rappeler, car les puissances voulaient respecter l’indépendance du vœu national ?… Lui dirions-nous : Vous avez cru aux Français, vous êtes venu au milieu de nous, seul et désarmé… ; si vos ministres ont commis beaucoup de fautes, vous avez été noble, bon, sensible ; une année de votre règne n’a pas fait répandre autant de larmes, qu’un seul jour du règne de Bonaparte. Mais, il reparaît sur l’extrémité de notre territoire, il reparaît, cet homme teint de notre sang et poursuivi naguère par nos malédictions unanimes. Il se montre, il menace, et ni les serments ne nous retiennent, ni votre confiance ne nous attendrit, ni votre vieillesse ne nous frappe de respect ! Vous avez cru trouver une nation, vous n’avez trouvé qu’un troupeau d’esclaves. Parisiens, tel ne sera pas votre langage, tel ne sera pas du moins le mien. J’ai vu que la liberté était possible sous la Monarchie, j’ai vu le Roi se rallier à la nation. Je n’irai pas, misérable transfuge, me traîner d’un pouvoir à l’autre, couvrir l’infamie par le sophisme et balbutier des mots profanés pour racheter une vie honteuse ! »

  1. C’est le 7 mars que le maréchal Ney, après avoir baisé la main du roi, lui avait dit : « Sire, j’espère bien venir à bout de le ramener dans une cage de fer. » Louis XVIII, qui avait le sentiment des convenances, dit à mi-voix après le départ de Ney : « Je ne lui en demandais pas tant ! » (Souvenirs du baron de Barante, II, 105). — Ney arriva le 10 mars à Besançon, siège de son commandement. Tout fier encore de ses paroles au roi, il les répéta au sous-préfet de Poligny, et celui-ci ayant objecté que mieux vaudrait le ramener mort dans un tombereau, le maréchal reprit : « — Non, vous ne connaissez pas Paris ; il faut