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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

celui-ci tous les corps qu’il commande. Hélas ! et le roi de France ?… Il déclare qu’à soixante ans il ne peut mieux terminer sa carrière qu’en mourant pour la défense de son peuple… et il fuit à Gand ! À cette impossibilité de vérité dans les sentiments, à ce désaccord entre les paroles et les actions, on se sent saisi de dégoût pour l’espèce humaine.

Louis XVIII, au 20 mars, prétendait mourir au milieu de la France ; s’il eût tenu parole, la légitimité pouvait encore durer un siècle ; la nature même semblait avoir ôté au vieux roi la faculté de se retirer, en l’enchaînant d’infirmités salutaires ; mais les destinées futures de la race humaine eussent été entravées par l’accomplissement de la résolution de l’auteur de la charte. Bonaparte accourut au secours de l’avenir ; ce Christ de la mauvaise puissance prit par la main le nouveau paralytique et lui dit : « Levez-vous et emportez votre lit ; surge, tolle lectum tuum. »


Il était évident que l’on méditait une escampative : dans la crainte d’être retenu, on n’avertissait pas même ceux qui, comme moi, auraient été fusillés une heure après l’entrée de Napoléon à Paris. Je rencontrai le duc de Richelieu dans les Champs-Élysées : « On nous trompe, » me dit-il ; « je monte la

    que les Parisiens voient. » Il disait encore : « — C’est bien heureux que l’homme de l’île d’Elbe ait tenté sa folle entreprise, car ce sera le dernier acte de sa tragédie, le dénouement de la Napoléonade. » Toutes ses paroles révélaient l’exaltation et même la haine : « — Je fais mon affaire de Bonaparte, répétait-il, nous allons attaquer la bête fauve. » Henry Houssaye, 1815, tome II, p. 301.