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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de mauvais couplets sur l’air de la Tyrolienne. J’ai tenu sur mes genoux bien de belles petites filles qui sont aujourd’hui de jeunes grand’mères. Quand vous avez quitté une femme, mariée devant vous à seize ans, si vous revenez seize ans après, vous la retrouvez au même âge : « Ah ! madame, vous n’avez pas pris un jour ! » Sans doute : mais c’est à la fille que vous contez cela, à la fille que vous conduirez encore à l’autel. Mais vous, triste témoin des deux hymens, vous encoffrez les seize années que vous avez reçues à chaque union : présent de noces qui hâtera votre propre mariage avec une dame blanche, un peu maigre.

Le maréchal Victor[1] était venu se placer auprès de nous, à Gand, avec une simplicité admirable : il ne demandait rien, n’importunait jamais le roi de son empressement ; on le voyait à peine ; je ne sais si on lui fit jamais l’honneur et la grâce de l’inviter une seule fois au dîner de Sa Majesté. J’ai retrouvé dans la suite le maréchal Victor ; j’ai été son collègue au ministère et toujours la même excellente nature m’est apparue. À Paris, en 1823, M. le dauphin fut d’une grande dureté pour cet honnête militaire : il était bien bon, ce duc de Bellune, de payer par un dévouement si modeste une ingratitude si à l’aise ! La can-

  1. Claude-Victor Perrin, duc de Bellune (1766-1841). Le nom de Victor, sous lequel il s’est illustré, n’était qu’un de ses prénoms. La bataille de Friedland lui valut le bâton de maréchal, et Napoléon le créa duc de Bellune, le 10 septembre 1808. Pair de France le 4 juin 1814, il devint, à la seconde rentrée de Louis XVIII, l’un des quatre majors-généraux de la Garde royale (septembre 1815) ; il fut ministre de la Guerre, du 14 décembre 1821 au 10 octobre 1823. Après la Révolution de 1830, il resta fidèle à la branche aînée des Bourbons.