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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde… » Puis, c’est la Turquie, dont l’écrivain évoque l’image, à propos du despotisme impérial : « Si nous avions jamais pensé que le gouvernement absolu est le meilleur des gouvernements possibles, quelques mois de séjour en Turquie nous auraient bien guéri de cette opinion. » Et comme si le sens des allusions, éparses dans l’article, n’eût pas été assez clair, l’auteur parlait, avec un respect attendri, des princes de la Maison de France : « En quel lieu du monde, disait-il, nos tempêtes n’ont-elles point jeté les enfants de saint Louis ?… Il nous était réservé de retrouver au fond de la mer Adriatique le tombeau de deux filles de rois[1], dont nous avions entendu prononcer l’oraison funèbre dans un grenier à Londres. Ah ! du moins la tombe qui renferme ces nobles dames aura vu une fois interrompre son silence ; le bruit des pas d’un Français aura fait tressaillir deux Françaises dans leur cercueil. Les respects d’un pauvre gentilhomme, à Versailles, n’eussent été rien pour des princesses ; la prière d’un chrétien, en terre étrangère, aura peut-être été agréable à des saintes. » D’autres passages montraient l’auteur se complaisant à l’idée du génie en lutte contre la force. Il parlait de Sertorius en guerre contre Sylla, et il disait : « Il y a des autels, comme celui de l’honneur, qui, bien qu’abandonnés, réclament encore des sacrifices. Le Dieu n’est pas anéanti, quoique le temple soit désert. » Et, s’animant, à cette idée, il écrivait : « Après tout, qu’importent les revers, si notre nom prononcé dans la postérité va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre vie ! » Et il ajoutait, pour plus de clarté dans l’allusion : « Nous ne doutons pas que, du temps de Sertorius, les âmes pusillanimes qui prennent leur bassesse

  1. Mesdames Victoire et Adélaïde de France, tantes de Louis XVI. Toutes deux avaient été enterrées à Trieste, où elles étaient mortes, Mme  Victoire, le 8 juin 1799, et Mme  Adélaïde, le 18 février 1800.