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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Quelques-unes de ces paroles, plus fortement accentuées, les mots : « Sortez, monsieur ! » trois fois répétés sur un ton de colère, avaient traversé la double porte du cabinet et étaient arrivés au salon voisin. Lorsque M. Daru y repassa, chacun s’écarta de lui ; on semblait ne pas le voir, ou craindre de l’aborder. À un de ses amis, qui le regardait avec tristesse, il demanda ce que signifiait cet accueil, et son ami de lui répondre : « Mon Dieu ! c’est l’effet de quelques paroles qu’on a trop entendues ici. L’Empereur paraît bien irrité : il semble qu’il vous a destitué, qu’il vous exile, comme M. de Marbois, ou le duc d’Otrante ; cela consterne vos amis et tient tout le monde à distance et en observation. » M. Daru rassura son interlocuteur, lui dit qu’on avait mal entendu ou mal compris ; qu’il s’agissait seulement d’exiler un académicien ; que cela même n’aurait pas lieu, et que l’orage serait passé dans deux jours ; puis, saluant de bonne grâce quelques personnes qui, voyant sa sérénité, se rapprochèrent de lui, il sortit en riant[1].

Sur un petit mot du comte Daru, Chateaubriand se rendit à Saint-Cloud le 28 avril, et reçut des mains du ministre son manuscrit, raturé en plusieurs passages de la main même de Napoléon.

Plusieurs de ses confrères auraient voulu qu’il fît un nouveau discours. Il s’y refusa, et, dans la séance du mercredi 2 mai, on lut de sa part, à l’Académie, la lettre que voici :


« Monsieur le Président,

Mes affaires et le mauvais état de ma santé ne me permettant pas de me livrer au travail, il m’est impossible, dans ce moment, de fixer l’époque à laquelle je désirerai avoir l’honneur d’être reçu à l’Académie.

Je suis, avec respect, etc…

De Chateaudriand.
29 avril 1811.
  1. Villemain, p. 188. — Voir aussi Charles de Lacretelle. Histoire du Consulat et de l’Empire, tome V, pp. 86-88.