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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

moral de l’homme, produit de la même école, où le système sensualiste était poussé à ses dernières conséquences et où la pensée était définie une sécrétion du cerveau.

À côté de ce scandale, il s’en était produit un autre. Un des grands prix était destiné à l’ouvrage de littérature qui réunirait au plus haut degré la nouveauté des idées, le talent de la composition et l’élégance du style. Un ouvrage avait paru, en ces dix dernières années, qui réunissait, au plus haut degré, toutes ces qualités : c’était le Génie du christianisme. Le jury de l’Institut et la Classe de la langue et de la littérature française s’étaient trouvés d’accord pour n’en pas parler. Ils avaient passé à côté du chef-d’œuvre sans le voir. Cette exclusion, dans l’esprit des membres de l’Institut, était destinée peut-être à flatter le Pouvoir. En ce cas ils n’atteignirent pas leur but. Napoléon comprit que l’institution des Prix décennaux n’avait plus sa raison d’être, si elle devait servir à consacrer de si monstrueuses injustices. Par son ordre, le ministre de l’Intérieur adressa, le 9 décembre 1810, au directeur de la Classe de la langue et de la littérature française, une lettre où il était dit : « Sa Majesté désire connaître pourquoi l’Institut n’a pas fait mention dans son rapport sur les Prix décennaux, à l’occasion du dixième, ou onzième grand prix, du Génie du christianisme, par M. de Chateaubriand, ouvrage dont on a beaucoup parlé, et qui est à la septième ou huitième édition. Je vous prie de bien vouloir convoquer la Classe, pour qu’elle indique les motifs qui l’ont déterminée à garder le silence sur cet ouvrage. »

L’Académie consulta les deux commissions spéciales chargées de l’examen préparatoire pour les catégories du dixième et onzième grand prix ; et après de nouveaux rapports et une discussion intérieure elle répondit que le silence de la Classe était motivé sur la nature même du Génie du christianisme, qui ne pouvait être considéré, ni comme un ouvrage de littérature proprement dite, ni