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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

déric : il préférait Arioste au Tasse ; il y trouvait les portraits de ses capitaines futurs, et un cheval tout bridé pour son voyage aux astres. On attribue à Bonaparte le madrigal suivant adressé à madame Saint-Huberti jouant le rôle de Didon : le fond peut appartenir à l’empereur, la forme est d’une main plus savante que la sienne :

Romains qui vous vantez d’une illustre origine.
Voyez d’où dépendait votre empire naissant !
  Didon n’a pas assez d’attrait puissant
Pour retarder la fuite où son amant s’obstine.
Mais si l’autre Didon, ornement de ces lieux,
  Eût été reine de Carthage,
Il eût, pour la servir, abandonné ses dieux,
Et votre beau pays serait encor sauvage.

Vers ce temps-là Bonaparte semblerait avoir été tenté de se tuer. Mille béjaunes sont obsédés de l’idée du suicide, qu’ils pensent être la preuve de leur supériorité. Cette note manuscrite se trouve dans les papiers communiqués par M. Libri : « Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd’hui ? du côté de la mort… Si j’avais passé soixante ans, je respecterais les préjugés de mes contemporains, et j’attendrais patiemment que la nature eût achevé son cours ; mais puisque je commence à éprouver des malheurs, que rien n’est plaisir pour moi, pourquoi supporterais-je des jours où rien ne me prospère ? »