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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lieues de Londres. Il parlait peu ; son visage était mélancolique ; il penchait souvent l’oreille, et il avait l’air d’écouter quelque chose de triste : on eût dit qu’il entendait tomber ses dernières années, comme les gouttes d’une pluie d’hiver sur le pavé. Du reste, il n’avait aucune passion, et il vivait selon Dieu.

M. Croker[1], membre de l’Amirauté, célèbre comme

  1. John William Croker. Voir sur lui, au tome II, la note 7 de la page 199 (note 39 du Livre IX de la Première Partie). — Né à Galway (Irlande) le 20 décembre 1780, il débuta dans la carrière des lettres par deux mordantes satires sur le théâtre et la société de Dublin (1804-1805), et par une brillante brochure intitulée : Esquisse de l’Irlande passée et présente, dans laquelle il préconisait l’émancipation des catholiques (1807). En cette même année 1807, il fut envoyé au Parlement par les électeurs de Downpatrick. Deux ans plus tard, il fut nommé secrétaire de l’Amirauté en récompense du zèle avec lequel il avait défendu le duc d’York accusé d’avoir, de concert avec sa maîtresse Mistress Clarke, trafiqué des grades dont la nomination lui appartenait en sa qualité de commandant en chef de l’armée. Croker conserva ces fonctions lucratives jusqu’en 1830. À cette époque, il se retira avec une pension de 1500 livres sterling. Lorsque la Réforme électorale fut un fait accompli (1832), il refusa de rentrer au Parlement, ne pouvant pas, disait-il, « prendre une part active à un système de gouvernement qui devait aboutir au renversement de l’Église, de la pairie et du trône, en un mot de la constitution anglaise ». Il ne voulut même pas accepter une place dans le ministère de son vieil ami Robert Peel en 1834, et il rompit avec Peel lui-même, lorsque les lois sur les céréales furent abolies (1846). Il mourut le 10 août 1857. — Outre les 260 articles qu’il a donnés à la Quarterly Review, de 1809 à 1854, William Croker a publié un très grand nombre d’ouvrages, dont les principaux sont les Contes pour les enfants tirés de l’histoire d’Angleterre (1817) ; le Johnson de Boswell (1831), et les Essais sur les commencements de la Révolution française. Il est l’inventeur du nom de « Conservateur » appliqué aux tories ; Disraeli l’a représenté sous les traits de Rigby dans son roman de Coningsby (1844). Sir Théodore Martin a consacré un long article des plus élogieux à Croker dans le Dictionary of National Biogaphy ; et il