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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

réduisaient à ceci : oublier entièrement l’Italie, ne se mêler en rien des affaires d’Espagne, négocier pour celles de l’Orient en maintenant la paix sans accroître l’influence de la Russie. Les chances étaient toujours pour M. Canning, et le portefeuille des affaires étrangères était confié par intérim à lord Bathurst, ministre des colonies.

J’assistai aux funérailles de lord Londonderry, à Westminster, le 20 août[1]. Le duc de Wellington paraissait ému ; lord Liverpool était obligé de se couvrir le visage de son chapeau pour cacher ses larmes. On entendit au dehors quelques cris d’insulte et de joie lorsque le corps entra dans l’église[2] : Colbert et Louis XIV furent-ils plus respectés ? Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants.

  1. On lit dans le Journal de Charles C.-F. Greville, secrétaire du Conseil Privé, sous la date du 19 août 1822 : « Les funérailles de Lord Londonderry auront lieu demain à l’abbaye de Westminster. Eu égard aux circonstances de sa mort, il eût peut-être été de meilleur goût d’éviter la pompe et la solennité de cette cérémonie, mais on défère en cela au désir exprimé par sa veuve, qui aurait considéré comme une offense à sa mémoire le refus de rendre à ses restes tous les honneurs d’usage. »
  2. Dans une lettre à Madame de Duras, Chateaubriand lui disait : « J’arrive des funérailles de ce pauvre homme. Nous étions tous rangés autour de la fosse dans cette vieille église de Westminster. Le duc de Wellington qui a vu tant de morts paraissait abattu ; lord Liverpool se cachait le visage dans son chapeau. Un groupe de radicaux, hors de l’église, a agité ses drapeaux et poussé des cris de joie, en voyant passer le cadavre. Le peuple n’a pas répondu et a paru indigné. Je verrai longtemps ce grand cercueil, qui renfermait cet homme égorgé de ses propres mains, au plus haut point de la prospérité. Il faut se faire trappiste. »