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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tais avec tant d’ardeur pour vous arracher à des mains qui commençaient à vous perdre, jugez, par les paroles que je viens de transcrire, si j’étais votre ennemi, ou bien le plus tendre et le plus sincère de vos serviteurs ! Hélas ! je vous parle et vous ne m’entendez plus[1].

Le projet de loi sur la police de la presse ayant été retiré, Paris illumina[2]. Je fus frappé de cette manifestation publique, pronostic mauvais pour la monarchie : l’opposition avait passé dans le peuple, et le peuple, par son caractère, transforme l’opposition en révolution.

La haine contre M. de Villèle allait croissant ; les royalistes, comme au temps du Conservateur, étaient

  1. « Cette apostrophe pleine de tristesse et de sanglots, dit ici M. de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 307), appelle dans nos yeux les larmes qui mouillaient les joues de l’auteur en l’écrivant ; et plus d’une fois j’ai surpris pleurant tout seul M. de Chateaubriand qui ne pleurait devant personne. »
  2. Adopté par la Chambre des députés, le 12 mars 1827, par 233 voix contre 134, la loi sur la presse avait été portée à la Chambre des pairs, qui nomma une commission nettement hostile. Le 17 avril, le gouvernement retira le projet. Dans la soirée, on donna un charivari à M. de Villèle aux cris de Vive le Roi ! Vivent les pairs ! À bas les ministres ! À bas les jésuites ! Une démonstration analogue eut lieu sous les fenêtres de la duchesse de Berry. Le 18, Paris illumina, une foule immense envahit les rues et les places, mêlant à ses cris de joie des cris de haine contre les jésuites et contre les ministres. Le 19, ces manifestations prirent un caractère plus sérieux. Il y eut des promenades d’étudiants portant des drapeaux ; les ouvriers imprimeurs parcoururent la ville en célébrant la victoire remportée sur le gouvernement ; les chiffonniers, à qui l’on avait persuadé que la nouvelle loi tuerait leur industrie, firent aussi leur démonstration, ce qui leur valut de recevoir une belle Épître de M. Viennet.