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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Adieu, madame ; je me laisse aller avec vous à des idées que toute autre que vous trouverait bien extraordinaire d’adresser à une personne de seize ans, mais je sais que vos seize ans ne sont que sur votre figure[1]. »

« Samedi.

« Il y a bien longtemps, madame, que je n’ai eu le plaisir de causer avec vous, et si vous êtes sûre, comme vous devez l’être que c’est une de mes privations, vous ne m’en ferez pas de reproches. . .

« Vous avez lu dans mon âme ; vous y avez vu que j’y portais le deuil des malheurs publics et celui de mes propres fautes, et j’ai dû sentir que cette triste disposition formait un contraste trop fort avec tout l’éclat qui environne votre âge et vos charmes. Je crains même qu’il ne se soit fait apercevoir quelquefois dans le peu de moments qu’il m’a été permis de passer avec vous, et je réclame là-dessus votre indulgence. Mais à présent, madame, que la Providence semble nous montrer de bien près un meilleur avenir[2], à qui pourrais-je confier mieux qu’à vous la joie que me donnent des espérances si douces et que je crois si prochaines ? Qui tiendra une plus grande place que vous dans les jouissances particulières qui se mêleront à la joie pu-

  1. Cette lettre est ainsi datée : De ma retraite de Corbeil, le samedi 28 septembre 1797. — La Harpe, proscrit après le coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797), avait trouvé un asile à Corbeil, où Mme Récamier l’alla voir une fois.
  2. Cette lettre, qui ne porte d’autre indication de date que le mot samedi a dû être écrite quelques jours après le 18 brumaire.