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l’acheta, et ce fut une occasion pour elle de voir madame de Staël[1].

« La vue de cette femme célèbre la remplit d’abord d’une excessive timidité. La figure de madame de Staël a été fort discutée. Mais un superbe regard, un sourire doux, une expression habituelle de bienveillance, l’absence de toute affectation minutieuse et de toute réserve gênante ; des mots flatteurs, des louanges un peu directes, mais qui semblent échapper à l’enthousiasme, une variété inépuisable de conversation, étonnent, attirent et lui concilient presque tous ceux qui l’approchent. Je ne connais aucune femme et même aucun homme qui soit plus convaincu de son immense supériorité sur tout le monde, et qui fasse moins peser cette conviction sur les autres.

« Rien n’était plus attachant que les entretiens de madame de Staël et de madame Récamier. La rapidité de l’une à exprimer mille pensées neuves, la rapidité de la seconde à les saisir et à les juger ; cet esprit mâle et fort qui dévoilait tout, et cet esprit délicat et fin qui comprenait tout ; ces révélations

  1. Comme le duc de Laval, un autre admirateur de Mme Récamier, Benjamin-Constant n’aimait pas les dates. Son écrit sur Mme Récamier n’en renferme pas une seule. Besoin nous est donc de préciser. À la fin de 1798, Mme de Staël fut chargée par son père, qui venait d’être rayé de la liste des émigrés, de vendre l’hôtel qu’il possédait rue du Mont-Blanc, aujourd’hui rue de la Chaussée-d’Antin, 7. M. Récamier était depuis longtemps en relations d’affaires avec M. Necker, il était son banquier, ainsi que celui de sa fille ; il acheta l’hôtel. L’acte de vente porte la date du 25 vendémiaire an VII (16 octobre 1798). La négociation de cette affaire devint l’origine de la liaison qui s’établit entre Mme de Staël et Mme Récamier. (Souvenirs et Correspondance…, par Mme Lenormant, I, 23.)