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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que pour aucune femme que j’aie jamais connue. Je ne sais rien vous dire comme consolation, si ce n’est que vous serez aimée et considérée plus que jamais et que les admirables traits de votre générosité et de votre bienfaisance seront connus malgré vous par ce malheur, comme ils ne l’auraient jamais été sans lui. Certainement, en comparant votre situation à ce qu’elle était, vous avez perdu ; mais s’il m’était possible d’envier ce que j’aime, je donnerais bien tout ce que je suis pour être vous. Beauté sans égale en Europe, réputation sans tache, caractère fier et généreux, quelle fortune de bonheur encore dans cette triste vie où l’on marche si dépouillé ! Chère Juliette, que notre amitié se resserre ; que ce ne soit plus simplement des services généreux qui sont tous venus de vous, mais une correspondance suivie, un besoin réciproque de se confier ses pensées, une vie ensemble. Chère Juliette, c’est vous qui me ferez revenir à Paris, car vous serez toujours une personne toute-puissante, et nous nous verrons tous les jours ; et comme vous êtes plus jeune que moi, vous me fermerez les yeux, et mes enfants seront vos amis. Ma fille a pleuré ce matin de mes larmes et des vôtres. Chère Juliette, ce luxe qui vous entourait, c’est nous qui en avons joui ; votre fortune a été la nôtre, et je me sens ruinée parce que vous n’êtes plus riche. Croyez-moi, il reste du bonheur quand on s’est fait aimer ainsi.

« Benjamin veut vous écrire ; il est bien ému. Mathieu de Montmorency m’écrit sur vous une lettre bien touchante. Chère amie, que votre cœur soit