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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

une ennemie aveugle et implacable. Elle ne fut pas plus écoutée que moi, lorsque je me vis obligé de m’adresser aussi à Bonaparte pour lui demander la vie de mon cousin Armand. Alexandre et César auraient été touchés de cette lettre d’un ton si haut, écrite par une femme si renommée ; mais la confiance du mérite qui se juge et s’égalise à la domination suprême, cette sorte de familiarité de l’intelligence qui se place au niveau du maître de l’Europe pour traiter avec lui de couronne à couronne, ne parurent à Bonaparte que l’arrogance d’un amour-propre déréglé. Il se croyait bravé par tout ce qui avait quelque grandeur indépendante ; la bassesse lui semblait fidélité, la fierté révolte ; il ignorait que le vrai talent ne reconnaît de Napoléons que dans le génie ; qu’il a ses entrées dans les palais comme dans les temples, parce qu’il est immortel.

Madame de Staël quitta Chaumont et retourna à Coppet[1] ; madame Récamier s’empressa de nouveau

    personnes à qui je voulais les envoyer dans les différentes parties de la France et de l’Europe ; j’attachais un grand prix à ce livre, que je croyais propre à faire connaître des idées nouvelles à la France : il me semble qu’un sentiment élevé sans être hostile l’avait inspiré, et qu’on y trouvait un langage qu’on ne parlait plus. »

  1. Au mois d’octobre 1810. — Les trois volumes de l’Allemagne étaient à peine achevés d’imprimer que le duc de Rovigo, ministre de la police, envoyait ses agents pour mettre en pièces les dix mille exemplaires qu’on avait tirés, et il signifiait à l’auteur l’ordre de quitter la France sous trois jours. Ayant vu dans les journaux que des vaisseaux américains étaient arrivés dans les ports de la Manche, Mme de Staël se décida à faire usage d’un passeport qu’elle avait pour l’Amérique, espérant qu’il lui serait possible de relâcher en Angleterre. Il lui fallait quelques jours, dans tous