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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

autre bannie. Madame de Chevreuse avait été forcée par l’Empereur et ensuite par sa propre famille d’entrer dans la nouvelle société. Vous trouveriez à peine un nom historique qui ne consentît à perdre son honneur plutôt qu’une forêt. Une fois engagée aux Tuileries, madame de Chevreuse avait cru pouvoir dominer dans une cour sortie des camps : cette cour cherchait, il est vrai, à s’instruire des airs de jadis, dans l’espoir de couvrir sa récente origine ; mais l’allure plébéienne était encore trop rude pour recevoir des leçons de l’impertinence aristocratique. Dans une révolution qui dure et qui a fait son dernier pas, comme par exemple à Rome, le Patriciat, un siècle après la chute de la république, put se résigner à n’être plus que le sénat des empereurs ; le passé n’avait rien à reprocher aux empereurs du présent, puisque ce passé était fini ; une égale flétrissure marquait toutes les existences. Mais en France les nobles qui se transformèrent en chambellans se hâtèrent trop ; l’empire nouvellement né disparut avant eux, et ils se retrouvèrent en face de la vieille monarchie ressuscitée.

Madame de Chevreuse, attaquée d’une maladie de poitrine, sollicita et n’obtint pas la faveur d’achever ses derniers jours à Paris ; on n’expire pas quand et où l’on veut[1] : Napoléon ; qui faisait tant de décédés n’en aurait pas fini avec eux s’il leur eût laissé le choix de leur tombeau.

  1. « La duchesse de Chevreuse est morte du serrement de cœur que son exil lui a causé. Elle ne put obtenir de Napoléon, lorsqu’elle était mourante, la permission de retourner une dernière fois à Paris, pour consulter son médecin et revoir ses amis. » Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, IVe partie, chap. VIII.