Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’on frappe à la tête comme à la porte de l’entendement, en appelant l’homme décédé et muet par son nom, pouvait, ce me semble inspirer, à un témoin autre chose qu’une raillerie, fût-elle empruntée de Molière. Qu’aurait dit le léger magistrat de Dijon si Clément XII lui eût répondu des profondeurs de l’éternité : « Que me veux-tu ? »

Le président de Brosses envoie à son ami l’abbé Courtois une liste des cardinaux du conclave avec un mot sur chacun d’eux en son honneur :

« Guadagni, bigot, papelard, sans esprit, sans goût, pauvre moine.

« Aquaviva d’Aragon, figure noble et un peu épaisse, l’esprit comme la figure.

« Ottoboni, sans mœurs, sans crédit, débauché, ruiné, amateur des arts.

« Alberoni, plein de feu, inquiet, remuant, méprisé, sans mœurs, sans décence, sans considération, sans jugement : selon lui, un cardinal est un… habillé de rouge. »

Le reste de la liste est à l’avenant ; le cynisme est ici tout l’esprit.

Une bouffonnerie singulière eut lieu : de Brosses alla dîner avec des Anglais à la porte Saint-Pancrace ; on simula l’élection d’un pape : sir Ashewd ôta sa perruque et représenta le cardinal doyen ; on chanta des oremus, et le cardinal Alberoni fut élu au scrutin de cette orgie. Les soldats protestants de l’armée du connétable de Bourbon nommèrent pape, dans l’église de Saint-Pierre, Martin Luther. Aujourd’hui les Anglais, qui sont tout à la fois la plaie et la providence de Rome, respectent le culte catholique qui leur a