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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qu’on n’y pense seulement pas à Paris, et qu’entre les salons et les chambres, les plaisirs et les lois, les joies du monde et les inquiétudes ministérielles, on se soucie de l’Europe comme de rien du tout. Il n’y a que moi qui, dans mon exil, ai le temps de songer creux et de regarder autour de moi. Hier, je suis allé me promener par une espèce de tempête sur l’ancien chemin de Tivoli. Je suis arrivé à l’ancien pavé romain, si bien conservé qu’on croirait qu’il a été posé nouvellement. Horace avait pourtant foulé les pierres que je foulais : où est Horace ? »

Le marquis Capponi[1], arrivant de Florence, m’apporta des lettres de recommandation de ses amies de Paris. Je répondis à l’une de ces lettres le 21 mars 1829 :

« J’ai reçu vos lettres : les services que je puis rendre ne sont rien, mais je suis tout à vos ordres. Je n’en étais pas à savoir ce que c’était que le marquis Capponi : je vous annonce qu’il est toujours beau ; il a tenu bon contre le temps. Je n’ai point répondu à votre première lettre, toute pleine d’enthousiasme pour le sublime Mahmoud et pour la

  1. Gino-Alexandre-Joseph-Gaspard, marquis Capponi, né à Florence le 14 septembre 1792. Élevé par le célèbre antiquaire l’abbé Zannoni, il apprit un grand nombre de langues et voyagea en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne. Il a joué en Toscane un rôle politique important, particulièrement de 1847 à 1849. Bien qu’il fût devenu presque aveugle dès 1839, il se voua avec passion aux études historiques et fut le principal rédacteur des Archives historiques publiées à Florence par Vieusseux. Le plus remarquable de ses ouvrages, Storia della Republica di Firenze, a paru en 1875. Le marquis Gino Capponi est mort le 3 février 1876.