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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

zitella fière, tricotant ses laines, un chat sur ses genoux, et me regardant errer à l’aventure sans se lever.

Quand le temps est mauvais, je me retire dans Saint-Pierre ou bien je m’égare dans les musées de ce Vatican aux onze mille chambres et aux dix-huit mille fenêtres (Juste-Lipse). Quelles solitudes de chefs-d’œuvre ! On y arrive par une galerie dans les murs de laquelle sont incrustées des épitaphes et d’anciennes inscriptions : la mort semble née à Rome.

Il y a dans cette ville plus de tombeaux que de morts. Je m’imagine que les décédés, quand ils se sentent trop échauffés dans leur couche de marbre, se glissent dans une autre restée vide, comme on transporte un malade d’un lit dans un autre lit. On croirait entendre les squelettes passer durant la nuit de cercueil en cercueil.

La première fois que j’ai vu Rome, c’était à la fin de juin : la saison des chaleurs augmente le délaisser de la cité ; l’étranger fuit, les habitants du pays se renferment chez eux ; on ne rencontre pendant le jour personne dans les rues. Le soleil darde ses rayons sur le Colisée, où pendent des herbes immobiles, où rien ne remue que les lézards. La terre est nue ; le ciel sans nuages paraît encore plus désert que la terre. Mais bientôt la nuit fait sortir les habitants de leurs palais et les étoiles du firmament ; la terre et le ciel se repeuplent ; Rome ressuscite ; cette vie recommencée en silence dans les ténèbres, autour des tombeaux, a l’air de la vie et de la promenade des ombres qui redescendent à l’Érèbe aux approches du jour.

Hier j’ai vagué au clair de lune dans la campagne entre la porte Angélique et le mont Marius. On enten-