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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

succès inespéré que j’ai obtenu ici m’a attaché : je suis arrivé au milieu de toutes les préventions suscitées contre moi, et j’ai tout vaincu ; on paraît me regretter. Que vais-je retrouver en France ? du bruit au lieu de silence, de l’agitation au lieu de repos, de la déraison, des ambitions, des combats de place et de vanité. Le système politique que j’ai adopté est tel que personne n’en voudrait peut-être, et que d’ailleurs on ne me mettrait pas à même de l’exécuter. Je me chargerais encore de donner une grande gloire à la France, comme j’ai contribué à lui obtenir une grande liberté ; mais me ferait-on table rase ? me dirait-on : « Soyez le maître, disposez de tout au péril de votre tête ? » Non ; on est si loin de me dire une pareille chose, que l’on prendrait tout le monde avant moi, et que l’on ne m’admettrait qu’après avoir essuyé les refus de toutes les médiocrités de la France, et qu’on croirait me faire une grande grâce en me reléguant dans un coin obscur. Je vais vous chercher ; ambassadeur ou non, c’est à Rome que je voudrais mourir. En échange d’une petite vie, j’aurais du moins une grande sépulture jusqu’au jour où j’irai remplir mon cénotaphe dans le sable qui m’a vu naître. Adieu ; j’ai déjà fait plusieurs lieues vers vous. »

J’eus un grand plaisir à revoir mes amis[1] : je ne rêvais qu’au bonheur de les emmener avec moi et de finir mes jours à Rome. J’écrivis pour mieux m’assu-

  1. Chateaubriand rentra à Paris le 28 mai 1829. — Les pages qui vont suivre, jusqu’à la fin du Livre XIII, ont été écrites à Paris, rue d’Enfer, en août et septembre 1830.