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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

moi ne se soit pas aperçu de mon manque total de cette passion, au reste fort légitime, laquelle fait qu’on pousse jusqu’au bout la carrière politique. Je guettais toujours l’occasion de me retirer : si j’étais tant passionné pour l’ambassade de Rome, c’est précisément parce qu’elle ne menait à rien, et qu’elle était une retraite dans une impasse.

Enfin, j’avais au fond de la conscience une certaine crainte d’avoir déjà poussé trop loin l’opposition ; j’en allais forcément devenir le lien, le centre et le point de mire : j’en étais effrayé, et cette frayeur augmentait les regrets du tranquille abri que j’avais perdu.

Quoi qu’il en soit, on brûlait force encens devant l’idole de bois descendue de son autel. M. de Lamartine, nouvelle et brillante illustration de la France, m’écrivait au sujet de sa candidature à l’Académie[1], et terminait ainsi sa lettre :

« M. de La Noue, qui vient de passer quelques moments chez moi, m’a dit qu’il vous avait laissé occupant vos nobles loisirs à élever un monument à la France. Chacune de vos disgrâces volontaires et courageuses apportera ainsi son tribut d’estime à votre nom, et de gloire à votre pays. »

Cette noble lettre de l’auteur des Méditations poéti-

  1. Lamartine, qui s’était déjà présenté une première fois en 1824, au lendemain des Nouvelles Méditations, et qui s’était vu alors préférer l’honnête M. Droz, se présentait de nouveau pour remplacer le comte Daru. L’élection eut lieu le 5 novembre 1829. Les concurrents de Lamartine étaient le général Philippe de Ségur, l’historien de Napoléon et la Grande-Armée pendant l’année 1812 ; M. Azaïs, auteur des Compensations dans les destinées humaines, et M. David, ancien consul général à Smyrne, auteur de l’Alexandréide. Lamartine fut élu au premier tour de scrutin, par 19 voix contre 14 données à M. de Ségur.