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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

se trouva le plus courageux de la bande ignorée[1], et le Dauphin avait supplié M. de Chantelauze de sauver la monarchie[2].

L’ordonnance de dissolution convoqua les collèges d’arrondissement pour le 23 juin 1830, et les collèges de département pour le 3 de juillet[3], vingt-sept jours

  1. M. de Guernon-Ranville, s’il était un homme de cœur, était aussi un homme de talent. En 1814, il avait quitté le barreau de Caen, où il avait brillamment débuté, et, après un vote énergique contre l’Acte additionnel, il s’était rendu à Gand auprès du roi Louis XVIII, à la tête d’une compagnie de volontaires royalistes. De Gand il était allé à Londres rejoindre le duc d’Aumont, qui préparait un débarquement sur les côtes de Normandie. Comme avocat d’abord, puis comme procureur général, il avait fait preuve de remarquables qualités oratoires. Il a laissé sur son ministère de huit mois un intéressant Journal, publié en 1874, par M. Julien Travers, sous ce titre : Journal d’un ministre.
  2. Lorsque M. de Chantelauze fut appelé au ministère, il annonça sa nomination à son frère par la lettre suivante :
    « Paris, 18 mai 1830.

    « Ma présence à Paris doit, mon cher ami, te causer quelque surprise. Tu en éprouveras davantage demain, à la lecture du Moniteur, qui contiendra ma nomination de Garde des sceaux. Je le regarde comme l’événement le plus malheureux de ma vie, et il n’est rien que je n’aie fait pour y échapper. Voilà bientôt un an que je résiste ; nommé ministre le 17 avril dernier, j’ai été assez heureux pour faire agréer mon refus, pendant mon dernier séjour ici ; j’ai également fait échouer de semblables tentatives à Grenoble ; c’est le 30 avril que j’ai reçu les ordres du roi. M. le Dauphin, à son passage, m’a vivement pressé ; j’ai été ferme dans mon refus, et je croyais bien la chose finie à mon avantage, mais, le 12 de ce mois, une dépêche télégraphique m’a prescrit de me rendre à Paris. Arrivé depuis trois jours, je n’ai pas perdu un instant pour empêcher un choix aussi peu convenable qu’utile. Mes excuses n’ont pas été goûtées, et je cède à des ordres qui ne permettent que l’obéissance. Ainsi, regarde-moi comme une victime à immoler et plains-moi. »

  3. La Chambre des députés fut dissoute le 16 mai. Les dépar-