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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cassées ; on arrachait les plaques fleurdelisées des conducteurs de diligences et des facteurs de la poste ; les notaires retiraient leurs panonceaux, les huissiers leurs rouelles, les voituriers leurs estampilles, les fournisseurs de la cour leurs écussons. Ceux qui jadis avaient recouvert les aigles napoléoniennes peintes à l’huile de lis bourboniens détrempés à la colle n’eurent besoin que d’une éponge pour nettoyer leur loyauté : avec un peu d’eau on efface aujourd’hui la reconnaissance et les empires.

Le maréchal de Raguse écrivit au roi qu’il était urgent de prendre des moyens de pacification, et que demain, 29, il serait trop tard. Un envoyé du préfet de police était venu demander au maréchal s’il était vrai que Paris fût déclaré en état de siège : le maréchal, qui n’en savait rien, parut étonné ; il courut chez le président du conseil ; il y trouva les ministres assemblés[1], et M. de Polignac lui remit l’ordonnance. Parce que l’homme qui avait foulé le monde aux pieds avait mis des villes et des provinces en état de siège, Charles X avait cru pouvoir l’imiter. Les ministres déclarèrent au maréchal qu’ils allaient venir s’établir à l’état-major de la garde.

Aucun ordre n’étant arrivé de Saint-Cloud, à neuf heures du matin, le 28, lorsqu’il n’était plus temps de tout garder, mais de tout reprendre, le maréchal fit sortir des casernes les troupes qui s’étaient déjà en partie montrées la veille. On n’avait pris aucune précaution pour faire arriver des vivres au Carrousel,

  1. Le président du Conseil occupait l’hôtel du ministère des Affaires étrangères, alors situé à l’angle de la rue des Capucines et des boulevards.