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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vivement l’attaque. À mesure qu’on avançait, les postes de communication laissés sur la route, trop faibles et trop éloignés les uns des autres, étaient coupés par le peuple et séparés les uns des autres par des abatis d’arbres et des barricades. Il y eut une affaire sanglante aux portes Saint-Denis et Saint-Martin. M. de Saint-Chamans, passant sur le théâtre des exploits futurs de Fieschi, rencontra, à la place de la Bastille, des groupes nombreux de femmes et d’hommes. Il les invita à se disperser, en leur distribuant quelque argent[1] ; mais on ne cessait de tirer

    nion publique, dont il fut, jusqu’à la suppression de cette feuille le 8 janvier 1852, un des principaux rédacteurs.

  1. On lit dans les Mémoires du général de Saint-Chamans : « J’occupai la grande rue du faubourg Saint-Antoine dans toute sa longueur… Notre attitude était paisible et pacifique, et les habitants, hommes, femmes et enfants, sortirent en foule des maisons et se mêlèrent dans nos rangs ; j’étais à cheval au milieu d’eux, et je parlais avec action à plusieurs groupes de ce peuple pour l’exhorter à rester tranquille et à reprendre ses occupations ordinaires, lorsqu’une femme, s’approchant de moi, me dit avec vivacité et en gesticulant qu’il était impossible de rester tranquille lorsqu’on était sans argent pour acheter du pain pour ses enfants, et que, quant au travail et aux occupations, ils n’en avaient plus, puisque, depuis la veille, tous les ateliers étaient fermés. Je lui donnai une pièce de cinq francs, et elle se mit aussitôt à crier à tue-tête : Vive le Roi ! Vive le Roi ! Ce cri fut vivement répété par plusieurs de ceux qui m’entouraient et qui me tendaient leurs mains… Je leur distribuai avec le même succès tout ce que j’avais d’argent sur moi ; pièces d’or et monnaie de billon furent bien reçues et produisirent chez eux le même enthousiasme royaliste, car j’avais soin de leur bien dire que c’était le Roi qui nous avait ordonné de secourir les indigents : je vidai ainsi ma bourse ; mais ce mince trésor fut bientôt épuisé, et ne trouvant plus de réponse à faire à ceux qui me tendaient la main (et il en arrivait de nouveaux à chaque instant), je m’aperçus que les cris de : Vive le Roi ! s’épuisaient aussi ; plusieurs de ceux qui s’en allaient les mains vides écla-