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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tard pour le sauver. Heureux ces nobles adversaires, qui avaient vu tant de boulets passer sur leur tête, s’ils ne succombèrent pas sous la balle de quelques-uns de ces forçats libérés que la justice a retrouvés depuis la victoire dans les rangs des vainqueurs ! Ces galériens n’ont pu polluer le triomphe national républicain ; ils n’ont été nuisibles qu’à la royauté de Louis-Philippe. Ainsi s’abîmèrent obscurément dans les rues de Paris les restes de ces soldats fameux, échappés au canon de la Moskowa, de Lutzen et de Leipzig : nous massacrions, sous Charles X, ces braves que nous avions tant admirés sous Napoléon. Il ne leur manquait qu’un homme : cet homme avait disparu à Sainte-Hélène.

Au tomber de la nuit, un sous-officier déguisé vint apporter l’ordre aux troupes de l’Hôtel de Ville de se replier sur les Tuileries. La retraite était rendue hasardeuse à cause des blessés que l’on ne voulait pas abandonner, et de l’artillerie difficile à passer à travers les barricades. Elle s’opéra cependant sans accident. Lorsque les troupes revinrent des différents quartiers de Paris, elles croyaient le roi et le dauphin arrivés de leur côté comme elles : cherchant en vain des yeux le drapeau blanc sur le pavillon de l’Horloge, elles firent entendre le langage énergique des camps.

Il n’est pas vrai, comme on le voit, que l’Hôtel de Ville ait été pris par la garde sur le peuple, et repris sur la garde par le peuple. Quand la garde y entra, elle n’éprouva aucune résistance, car il n’y avait personne, le préfet même était parti. Ces vantances affaiblissent et font mettre en doute les vrais périls. La garde fut mal engagée dans des rues tortueuses ; la