Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t5.djvu/326

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

misère. Avait-on à s’embarrasser de ce que la prêtraille pouvait avoir perdu ? Je donnai l’hospitalité à sept ou huit fugitifs ; ils restèrent plusieurs jours cachés sous mon toit. Je leur obtins des passe-ports par l’intermédiaire de mon voisin, M. Arago[1], et ils allèrent ailleurs prêcher la parole de Dieu. « La fuite des saints a souvent été utile aux peuples, utilis populis fuga sanctorum. »

La commission municipale, établie à l’Hôtel de Ville, nomma le baron Louis commissaire provisoire aux finances, M. Baude à l’intérieur, M. Mérilhou[2] à

    du saint vieillard, qu’il avouait plus tard avoir perdu pour un moment le sentiment de sa situation… » Pour compléter l’œuvre de destruction, les dévastateurs mettent le feu à l’intérieur d’une chambre. L’incendie commençait, lorsque deux missionnaires, déguisés en domestiques de l’hospice des Enfants-Trouvés (situé également rue d’Enfer), arrivent, accompagnés de deux sœurs de Charité, et, se mêlant à la foule, ils s’écrient : « Malheureux, que faites-vous ? Ne voyez-vous pas que le feu va se communiquer à l’hospice ? Voulez-vous donc brûler ces pauvres petits orphelins ? » — On les écoute ; une chaîne est organisée, et le feu est éteint au dedans. Mais bientôt, à l’aide de la paille qu’ils ont amoncelée, et sur laquelle ils entassent les débris des meubles, les livres, les papiers, les ornements sacrés, de grands feux sont allumés à la fois au jardin, dans la cour et jusque dans la rue. — Les missionnaires purent échapper, en se réfugiant, les uns à l’hospice des Enfants-Trouvés, les autres sous le toit de Chateaubriand. (Vie du très révérend Père Jean-Baptiste Rauzan, par le P. A. Delaporte, pages 281 et suiv.)

  1. La maison de Chateaubriand, rue d’Enfer, no 84, était voisine de l’Observatoire, dont François Arago était alors le directeur.
  2. Joseph Mérilhou (1788-1856). — Après avoir appartenu à la magistrature impériale, il avait figuré, sous la Restauration, au premier rang des avocats libéraux, et avait plaidé dans presque tous les procès politiques du temps. Il ne se bornait pas du reste à défendre les conspirateurs, il conspirait comme eux. Affilié à