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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

on se livrait. Ce fut là que je vis enfin M. de Mortemart. Je lui dis que, d’après le désir du roi, j’étais prêt à m’entendre avec lui. Il me répondit, comme je l’ai déjà rapporté, qu’en revenant il s’était écorché le talon : il rentra dans le flot de l’assemblée. Il nous donna connaissance des ordonnances comme il les avait fait communiquer aux députés par M. de Sussy. M. de Broglie déclara qu’il venait de parcourir Paris ; que nous étions sur un volcan ; que les bourgeois ne pouvaient plus contenir leurs ouvriers ; que si le nom de Charles X était seulement prononcé, on nous couperait la gorge à tous, et qu’on démolirait le Luxembourg comme on avait démoli la Bastille : « C’est vrai ! c’est vrai ! » murmuraient d’une voix sourde les prudents, en secouant la tête[1]. M. de Caraman, qu’on avait fait duc, apparemment parce qu’il avait été valet de M. de Metternich, soutenait avec chaleur qu’on ne pouvait reconnaître les ordonnances : « Pourquoi donc, lui dis-je, monsieur ? » Cette froide question glaça sa verve.

Arrivent les cinq députés commissaires. M. le gé-

  1. En regard de la version de Chateaubriand, il convient de placer celle du duc Victor de Broglie : « Je ne sais en vérité, dit-il (Souvenirs, III, 325), si j’ai placé quatre paroles dans une conversation à bâtons rompus, où nous étions animés des mêmes sentiments et préoccupés du même but ; mais ce dont je suis parfaitement sûr, c’est de n’avoir jamais dit que je venais de parcourir tout Paris, que nous étions sur un volcan ; que les maîtres ne pouvaient plus contenir leurs ouvriers ; que, si le nom du roi était désormais prononcé, on couperait la gorge à qui le prononcerait ; que nous serions tous massacrés ; qu’on prendrait d’assaut le Luxembourg comme la Bastille en 1789 ; et, quant au discours par lequel M. de Chateaubriand aurait foudroyé ce langage, c’est ma faute peut-être, mais je regrette de n’en avoir pas entendu le premier mot. »