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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

chemin des parterres, les yeux attachés sur la lune. Je regrettais les mers et les montagnes où elle m’était apparue, les forêts dans la cime desquelles, se dérobant elle-même en silence, elle avait l’air de me répéter la maxime d’Épicure : « Cache ta vie. »

J’ai laissé les troupes, le 29 au soir, se retirer sur Saint-Cloud. Les bourgeois de Chaillot et de Passy les attaquèrent, tuèrent un capitaine de carabiniers, deux officiers, et blessèrent une dizaine de soldats. Le Motha, capitaine de la garde, fut frappé d’une balle par un enfant qu’il s’était plu à ménager. Ce capitaine avait donné sa démission au moment des ordonnances ; mais, voyant qu’on se battait le 27, il rentra dans son corps pour partager les dangers de ses camarades[1]. Jamais, à la gloire de la France, il n’y eut un plus beau combat dans les partis opposés entre la liberté et l’honneur.

Les enfants, intrépides parce qu’ils ignorent le danger, ont joué un triste rôle dans les trois journées : à l’abri de leur faiblesse, ils tiraient à bout portant sur les officiers qui se seraient crus déshonorés en les repoussant. Les armes modernes mettent la mort à la disposition de la main la plus débile. Singes laids et étiolés, libertins avant d’avoir le pouvoir de l’être, cruels et pervers, ces petits héros des trois journées se livraient à des assassinats avec tout l’abandon de l’innocence. Donnons-nous garde, par des louanges

  1. Le capitaine Le Motha est l’officier qu’Alfred de Vigny a immortalisé dans le dernier et admirable épisode de Servitude et Grandeur militaires, — la Vie et la mort du capitaine Renaud.