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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

imprudentes, de faire naître l’émulation du mal. Les enfants de Sparte allaient à la chasse aux ilotes.

Monsieur le dauphin reçut les soldats à la porte du village de Boulogne, dans le bois, puis il rentra à Saint-Cloud.

Saint-Cloud était gardé par les quatre compagnies des gardes du corps. Le bataillon des élèves de Saint-Cyr était arrivé : en rivalité et en contraste avec l’École polytechnique, il avait embrassé la cause royale. Les troupes exténuées, qui revenaient d’un combat de trois jours, ne causaient, par leurs blessures et leur délabrement, que de l’ébahissement aux domestiques titrés, dorés et repus qui mangeaient à la table du roi. On ne songea point à couper les lignes télégraphiques ; passaient librement sur la route courriers, voyageurs, malles-postes, diligences, avec le drapeau tricolore qui insurgeait les villages en les traversant. Les embauchages par le moyen de l’argent et des femmes commencèrent. Les proclamations de la commune de Paris étaient colportées çà et là. Le roi et la cour ne se voulaient pas encore persuader qu’ils fussent en péril. Afin de prouver qu’ils méprisaient les gestes de quelques bourgeois mutinés, et qu’il n’y avait point de révolution, ils laissaient tout aller : le doigt de Dieu se voit dans tout cela.

À la tombée de la nuit du 30 juillet, à peu près à la même heure où la commission des députés partait pour Neuilly, un aide-major fit annoncer aux troupes que les ordonnances étaient rapportées. Les soldats crièrent : Vive le roi ! et reprirent leur gaieté au bivouac ; mais cette annonce de l’aide-major, envoyé par le duc de Raguse, n’avait pas été communiquée