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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qu’ils n’avaient pas le courage d’écouter. Je me disais, en regardant cette triste assemblée : « Quoi ! ceux qui ont reçu les bienfaits de Charles X dans sa prospérité vont le déserter dans son infortune ! Ceux dont la mission spéciale était de défendre le trône héréditaire, ces hommes de cour qui vivaient dans l’intimité du roi, le trahiront-ils ? Ils veillaient à sa porte à Saint-Cloud ; ils l’ont embrassé à Rambouillet ; il leur a pressé la main dans un dernier adieu ; vont-ils lever contre lui cette main, toute chaude encore de cette dernière étreinte ? Cette Chambre, qui retentit pendant quinze années de leurs protestations de dévouement, va-t-elle entendre leur parjure ? C’est pour eux cependant que Charles X s’est perdu ; c’est eux qui le poussaient aux ordonnances ; ils trépignaient de joie lorsqu’elles parurent et lorsqu’ils se crurent vainqueurs dans cette minute muette qui précède la chute du tonnerre. »

Ces idées roulaient confusément et douloureusement dans mon esprit. La pairie était devenue le triple réceptacle des corruptions de la vieille Monarchie, de la République et de l’Empire. Quant aux républicains de 1793, transformés en sénateurs, quant aux généraux de Bonaparte, je n’attendais d’eux que ce qu’ils ont toujours fait : ils déposèrent l’homme extraordinaire auquel ils devaient tout, ils allaient déposer le roi qui les avait confirmés dans les biens et dans les honneurs dont les avait comblés leur premier maître. Que le vent tourne, et ils déposeront l’usurpateur auquel ils se préparaient à jeter la couronne.

Je montai à la tribune. Un silence profond se fit ;