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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de ses dons et que vous avez perdu ! Provocateurs de coups d’État, prédicateurs du pouvoir constituant, où êtes-vous ? Vous vous cachez dans la boue du fond de laquelle vous leviez vaillamment la tête pour calomnier les vrais serviteurs du roi ; votre silence d’aujourd’hui est digne de votre langage d’hier. Que tous ces preux, dont les exploits projetés ont fait chasser les descendants d’Henri IV à coups de fourche, tremblent maintenant, accroupis sous la cocarde tricolore : c’est tout naturel. Les nobles couleurs dont ils se parent protégeront leur personne, et ne couvriront pas leur lâcheté.

« Au surplus, en m’exprimant avec franchise à cette tribune, je ne crois pas du tout faire un acte d’héroïsme. Nous ne sommes plus dans ces temps où une opinion coûtait la vie ; y fussions-nous, je parlerais cent fois plus haut. Le meilleur bouclier est une poitrine qui ne craint pas de se montrer découverte à l’ennemi. Non, messieurs, nous n’avons à craindre ni un peuple dont la raison égale le courage, ni cette généreuse jeunesse que j’admire, avec laquelle je sympathise de toutes les facultés de mon âme, à laquelle je souhaite, comme à mon pays, honneur, gloire et liberté.

« Loin de moi surtout la pensée de jeter des semences de division dans la France, et c’est pour quoi j’ai refusé à mon discours l’accent des passions. Si j’avais la conviction intime qu’un enfant doit être laissé dans les rangs obscurs et heureux de la vie, pour assurer le repos de trente-trois millions d’hommes, j’aurais regardé comme un crime toute parole en contradiction avec le besoin des temps :