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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

chose, il n’y eut guère que les soldats et les officiers d’engagés ; l’état-major, qui avait déjà déserté Bonaparte à Fontainebleau, se tint sur les hauteurs de Saint-Cloud, regardant de quel côté le vent poussait la fumée de la poudre. On faisait queue au lever de Charles X ; à son coucher il ne trouva personne.

La modération des classes plébéiennes égala leur courage ; l’ordre résulta subitement de la confusion. Il faut avoir vu des ouvriers demi-nus, placés en faction à la porte des jardins publics, empêcher selon leur consigne d’autres ouvriers déguenillés de passer, pour se faire une idée de cette puissance du devoir qui s’était emparée des hommes demeurés les maîtres. Ils auraient pu se payer le prix de leur sang, et se laisser tenter par leur misère. On ne vit point, comme au 10 août 1792, les Suisses massacrés dans la fuite. Toutes les opinions furent respectées ; jamais à quelques exceptions près, on n’abusa moins de la victoire. Les vainqueurs, portant les blessés de la garde à travers la foule, s’écriaient : « Respect aux braves ! » Le soldat venait-il à expirer, ils disaient : « Paix aux morts ! » Les quinze années de la Restauration, sous un régime constitutionnel, avaient fait naître parmi nous cet esprit d’humanité, de légalité et de justice, que vingt-cinq années de l’esprit révolutionnaire et guerrier n’avaient pu produire. Le droit de la force introduit dans nos mœurs semblait être devenu le droit commun.

Les conséquences de la révolution de Juillet seront mémorables. Cette révolution a prononcé un arrêt contre tous les trônes ; les rois ne pourront régner aujourd’hui que par la violence des armes ; moyen