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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

taire exige pour la chanson : « Pour bien réussir à ces petits ouvrages, dit l’auteur de tant de poésies gracieuses, il faut dans l’esprit de la finesse et du sentiment, avoir de l’harmonie dans la tête, ne point trop s’abaisser, et savoir n’être pas trop long. »

Béranger a plusieurs muses, toutes charmantes ; et quand ces muses sont des femmes, il les aime toutes. Lorsqu’il en est trahi, il ne tourne point à l’élégie ; et pourtant un sentiment de pieuse tristesse est au fond de sa gaieté : c’est une figure sérieuse qui sourit ; c’est la philosophie qui prie.

Mon amitié pour Béranger m’a valu bien des étonnements de la part de ce qu’on appelait mon parti ; un vieux chevalier de Saint-Louis, qui m’est inconnu, m’écrivait du fond de sa tourelle : « Réjouissez-vous, monsieur, d’être loué par celui qui a souffleté votre roi et votre Dieu. » Très bien, mon brave gentilhomme ! vous êtes poète aussi.

À la fin d’un dîner au Café de Paris, dîner que je donnais à MM. Béranger et Armand Carrel avant mon départ pour la Suisse, M. Béranger nous chanta l’admirable chanson imprimée :

« Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie,
Fuir son amour, notre encens et nos soins ?

On y remarquait cette strophe sur les Bourbons :

« Et tu voudrais t’attacher à leur chute !
Connais donc mieux leur folle vanité :
Au rang des maux qu’au ciel même elle impute,
Leur cœur ingrat met ta fidélité. »