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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sale, populeuse, dans le voisinage de Saint-Eustache et des halles ? C’est là que se donna le fameux souper de la troisième restauration. Les convives étaient armés de pistolets, de poignards et de clefs ; on devait, après boire, s’introduire dans la galerie du Louvre, et, passant à minuit entre deux rangs de chefs-d’œuvre, aller frapper le monstre usurpant au milieu d’une fête. La conception était romantique ; le xvie siècle était revenu, on pouvait se croire au temps des Borgia, des Médicis de Florence et des Médicis de Paris, aux hommes près.

Le 1er  février, à neuf heures du soir, j’allais me coucher, lorsqu’un homme zélé et l’individu aux lettres de change forcèrent ma porte, rue d’Enfer,

    marrons, espèces de petites bombes, auraient été lancés au milieu des voitures stationnant aux portes du palais ; des chevalets, morceaux de bois, garnis de pointes de fer, auraient été semés sous les pieds des chevaux ; enfin, on se croyait en droit d’espérer que des pièces d’artifice seraient disposées dans la salle de spectacle, de manière à pouvoir, en mettant le feu à la charpente, augmenter la confusion. Les principaux conjurés devaient se réunir, à onze heures du soir, en armes, chez un restaurateur de la rue des Prouvaires, au numéro 12 de cette rue. Ils y étaient rassemblés, au nombre d’une centaine, lorsque tout à coup la rue se remplit de gardes municipaux et de sergents de ville, qui, malgré la résistance des chefs du complot et de leurs hommes, purent procéder à leur arrestation. Le procès s’ouvrit, devant la Cour d’assises de la Seine, le 5 juillet 1832. Les accusés étaient au nombre de soixante-six, dont onze contumaces, et les débats ne remplirent pas moins de dix-huit audiences. L’arrêt fut rendu le 25 juillet. Six accusés furent condamnés à la peine de la déportation ; douze à cinq ans de détention ; quatre à deux années, et cinq à une année d’emprisonnement. Tous les autres étaient acquittés. Parmi les condamnés à la détention, se trouvait M. Piégard Sainte-Croix, royaliste ardent, dont la fille, carliste comme son père, épousera plus tard le célèbre écrivain socialiste P.-J. Proudhon.